Information Catholiques International
No 576/15 juillet 1982
Moon La Mystification


Ancien lieutenant de la secte,
Allen Tate Wood,
temoigne


Vous etes consideree par les Moonistes comme un adversaire
redoutable. Or vous etes un ancien adepte. Comment en etes-vous
arrivee a bruler ce que vous adoriez?


Allen Tate Wood: Pour ma part, j'ai été contacté par un jeune mooniste alors que j'étais étudiant en histoire aux Etats Unis. A l'époque, j'étais tout à fait disponible, contestant toutes les institutions, l'armée, le gouvernement. Militant pacifiste, j'étais parti en autostop, décidé à gagner l'Inde pour y trouver un maître spirituel. C'est en cherchant un lieu pour y laisser mes bagages que j'ai trouvé ce jeune adepte, qui m'a conduit à un centre. J'ai vécu trois mois à Berkeley. Ensuite à Washington. Là?bas, nous formions un groupe chargé d'infiltrer les milieux politiques. Groupe ? religieux », nous n'étions pas autorisé par la loi à jouer un rôle directement politique ; cela nous le savions. En fait, nous étions un pion dans le jeu de Moon. Le gouvernement ignorait que nous étions ; nous usions de l'influence acquise par des services rendus auprès des sénateurs pour faire obstacle essentiellement aux projets de suspension à l'aide militaire à Israël et au Cambodge.

Ensuite, je suis parti avec huit autres moonistes au Vietnam, au Cambodge, au Japon, enfin en Corée. J'ai rencontré Moon, pour la première fois, ainsi que certains de ces affidés au Japon, tel que Sasagawa Ryoichi, criminel de guerre aujourd'hui à la tête d'un véritable empire financier, qui déclarait : ? Je suis le chien de M. Moon ». En Corée, nous couchions dans l'usine d'armement de Moon.

Au contact de Moon, je suis passé de la fascination à la révolte, j'ai découvert sa brutalité, et qu'en fait, loind'aimer les jeunes adeptes, il ne voulait que les utiliser comme des esclaves de sa propre puissance. Au retour, j'ai rassemblé un congrès de nos membres au Maryland pour leur annoncer que je quittais la secte.

Rapidement, Moon m'a fait contacter par Bohipak (son adjoint, qui fut attaché militaire coréen à Washington avant de travailler pour Moon). Bo Hi Pak m'a téléphoné pour me dire : "Le maître vous aime, il vous pardonne, prenez de longues vacances et, ensuite, vous suivrez un cours de cent jours. Après cela il veut vous donner encore plus d'autorité "

La perspective de ce cours de cent jours était redoutable; il s'agit vraiment là d'un lavage de cerveau sauvage. Je n'ai pas accepté de renouer avec Moon. Peu à peu, j'ai commencé un travail de conférencier contre la secte, dans les universités, les églises, les oeuvres sociales. En 1978, j'ai écrit un livre qui relatait mon expérience <ý• Moon stroke » (c'est littéralement celui qui a reçu un coup de lune et ...ne s'en est pas remis, avec bien sûr le jeu de mot intraduisible sur « Moon »).

Parlons un peu du «deprogramming ».[aujourd'hui nous dirions consellee de sortir] Quelles sont les techniques ?

Mais alors oü trouver la clé d'une aliénation si bien réussie ?

Allen Tate Wood: En fait la chose est très simple. Si vous lisez les «Principes divins?, vous voyez qu'il s'agit d'un système qui prétend expliquer absolument tout: les guerres, le péché, le salut, etc... C'est dans ce système que le leader va tenter de vous faire pénétrer. Les conférences de formation se déroulent dans un milieu d'amour, un climat réceptif, ouvert, valorisant. Comme nouveau venu, vous ne vous en apercevez pas toujours, mais vous êtes encadré par des adeptes confirmés, en moyenne les deux tiers du groupe. Vous avez peut- être près de vous une adepte qui vous parraine, discute avec vous, apparemment à bâtons rompus, en fait, elle rapporte au leader ce qui lui paraît significatif de vos soucis et de votre histoire personnelle. Demain le leader cherchera à vous toucher sur ces points plus sensibles. Cette sorte de «circuit »entre la parole de l'enseignant,un public réceptif, et vous avec vos questions fonctionne comme une roue et la fin de cette circulation est une sorte d'automatisme psychique. Lorsque vous commencez à céder à cet entraînement, on vous persuade que c'est la main de Dieu qui vous touche, que vous êtes choisi par Dieu pour confondre les armées de la nuit.

Mais alors oü trouver la clé d'une aliénation si bien réussie ?

Allen Tate Wood: En fait la chose est très simple. Si vous lisez les «Principes divins?, vous voyez qu'il s'agit d'un système qui prétend explique

absolument tout: les guerres, le péché, le salut, etc... C'est dans ce système que le leader va tenter de vous faire pénétrer. Les conférences de formation se déroulent dans un milieu d'amour, un climat réceptif, ouvert, valorisant. Comme nouveau venu, vous ne vous en apercevez pas toujours, mais vous êtes encadré par des adeptes confirmés, en moyenne les deux tiers du groupe. Vous avez peut?être près de vous une adepte qui vous parraine, discute avec vous, apparemment à bâtons rompus, en fait, elle rapporte au leader ce qui lui paraît significatif de vos soucis et de votre histoire personnelle. Demain le leader cherchera à vous toucher sur ces points plus sensibles. Cette sorte de «circuit » entre la parole de l'enseignant, un public réceptif, et vous avec vos questions fonctionne comme une roue et la fin de cette circulation est une sorte d'automatisme psychique. Lorsque vous commencez à céder à cet entraînement, on vous persuade que c'est la main de Dieu qui vous touche, que vous êtes choisi par Dieu pour confondre les armées de la nuit.

En fait, c'est Moon, c'est le dragon qui entre en vous avec des mains d'amour. Le groupe fonctionne ainsi. Tout paraît dicté par l'amour: ça vous semble une élévation, mais c'est une manipulation: il s'agit en fait d'un irrespect sauvage. Nous avons trop souffert de cela, Martin et moi, pour acepter de jouer ainsi sur les émotions. Notre travail est une invitation à la réflexion, pas une <ý• séduction». Nous savons que nous ne « possédons » pas la vérité.

Et Moon lui?même, sa personnalité, son caractère, que peut?on en dire ?

Allen Tate Wood: Fondamentalement,c'est une espèce de paranoïaque infantile. Moon ne peut voir le monde que dans sa tete et veut le detruire des qu'il ne s'accorde plus avec ses idées. Cela je le sais maintenant, mais la première impression que j'ai eu de Sun Myung Moon était toute différente. Je l'aimais. II m'apparaissais paternel, plein de grâce, l'égal à lui seul de Moïse, Jésus, Gandhi, Martin Luther King. Physiquement, c'est un acteur remarquable, un « danseur » même, tous ses mouvements sont pleins, jamais un geste sans raison. II a une séduction étonnante; en un sens c'est la plus grande autorité que j'ai vue dans ma vie. Je le voyais avec mes yeux d'alors... Peu à peu je me suis interrogé en observant son attitude par rapport aux adeptes, la façon dont il les manipulait. Je me souviens d'un matin de Pâques. Nous avions un grand meeting avec lui et j'étais assis au premier rang. II m'a fait venir près de lui, m'a demandé de me mettre à quatre pattes et m'a lancé un coup de pied. Puis se tournant vers l'assemblée: « Etes?vous prêts à me suivre si je vous traite ainsi ? » Les assistants étaient tout de même un peu interloqués et la réponse a manqué de vigueur; deux fois encore, il a répété sa question jusqu'à ce que le dernier « Oh oui! » soit un véritablement rugissement. A une autre occasion, grâce à un adepte coréen qui se trouvait à mes côtés, j'ai pu comprendre qu'il insultait grossièrement dans sa langue un vieil interprète qui lui demandait, après trois heures de travail ininterrompu, de s'absenter quelques instants. Je découvrais un autre visage de Moon, ce n'était plus Moïse, c'était le Dr No.

Vous ne vous êtes pas occupé de « déprogrammer), seulement des moonistes mais aussi des adeptes d'autres sectes. Voyez?vous quelques traits communs entre toutes les sectes ?

Allen Tate Wood: Oui. Chaque fois il y a un leader qui prétend apporter une révélation absolue, posséder une sagesse absolue et vous faire entrer dans un système d'obéissance absolue. Si vous refusez cette sagesse ou, ce qui revient au même, cette obéissance aveugle, vous ne pouvez être sauvé, et tous ceux qui la refusent sont des ennemis. Pour moi, c'est une espèce de « titanisme ». Une vie humaine est pleine de vicissitudes et d'obscurités, mais à chaque siècle apparaissent les titans. Ils prétendent offrir aux hommes un chemin héroïque et, chaque fois, ça se révèle être une route infernale. Ce que vous dites là à propos des sectes, ne peut?on le dire aussi des grandes religions ?

Allen Tate Wood: Le phénomène traverse aussi les religions. Le catholicisme espagnol du XVII, siècle, avec son inquisition et ses auto da fés est bien sectaire: ça n'a plus rien à voir avec Jésus. C'est une sorte de farouche cannibalisme. Dans l'attitude religieuse authentique, la foi est première et la sagesse, le savoir, viennent après. II faut les deux, mais il faut aussi cette hiérarchie. Comme croyant je ne prétends pas que mon chemin soit tout tracé. Comme le dit saint Paul: « Je vois, mais confusément, comme dans un miroir»; les faux messies à l'inverse disent: « Tu peux voir clairement, directement .

C'est toute la question de la liberté. Elle ne concerne pas seulement les sectes. Je pense au problème politique.

Allen Tate Wood: Oui, c'est vrai, il y a des caractéristiques névrotiques des sectes qui permettent de comprendre d'autres phénomènes de civilisation comme les régimes totalitaires. Le processus est toujours le même. A partir d'une obsession, on finit par voir le monde de façon manichéenne. Chaque chose, chaque être qui nous aide est décrété bon, chaque opposition mauvaise. Pour moi, les sectes sont comme des •< regards » qui permettent d'entrevoir le monde en profondeur. C'est une idée de la phénoménologie (Husserl, Heidegger) qu'à travers nos « blessures », nous pouvons voir le monde. Et les sectes sont bien des « blessures?, des plaies sur le corps social. Dans votre travail, avez?vous rencontré des difficultés spécifiques à certaines sectes ?

Allen Tate Wood: Oui. Par exemple, chez les Krishna la répétition incessante du même mantra: « Hare Krishna?, laisse une trace longtemps après le deprogramming, une sorte de bourdonnement. C'est très difficile d'effacer cet automatisme psychologique. Dans la « voie internationale », ils apprennent à parler en langue. Cette forme de glossolalie doit être assez intégrée pour se poursuivre mentalement ?silencieusement. A ce stade, chaque fois que le monde touche l'adepte en un sens négatifcette mélopée commence, intérieurement, et il n'entend rien d'autre. Là encore, il arrive que, plusieurs années après avoir quitté la secte et malgré tous les efforts, le disque continue, impitoyablement. Toujours la question de la liberté. Vous êtes vous jamais demandé de quel « droit » vous interveniez dans la décision de quelqu'un qui après tout est majeur ?

Allen Tate Wood: C'est lorsque j'étais mooniste que je croyais avoir le droit, pour la cause de Dieu, d'attraper les autres, de contraindre. Maintenant, je sais que je n'ai pas ce droit. Encore une fois, il n'y a aucune violence dans ce que nous faisons. Simplement, il y a une réalité dans les sectes qui est le mensonge. J'ai reçu les coups du sorcier, je sais à quel esclavage il conduit. Bien sùr, il y a aussi de bonnes choses parmi les adeptes. On y rencontre l'amour, la fidélité, la loyauté, cela je ne le nie pas. Mais toute cette générosité tient autour d'une image fausse. alors, tôt ou tard, chacun quelles que soient ses qualités, entre dans ce système de mensonge, il est conduit à accepter une déformation de la réalité, une déformation de son psychisme, de sa vie spirituelle. Notre monde est assez sale comme cela! Je ne suis pas celui qui peut tout laver mais Dieu m'a confié ce petit coin. On parle beaucoup d'argent à propos de Moon mais je crois qu'il y a pire: derrière lui il y a une puissance de haine, une volonté de destruction. Les moonistes parlent beaucoup du diable, moi je ne l'ai jamais vu, mais si je peux l'imaginer, les méthodes de Moon (cette façon de faire de vous un esclave en vous faisant d'abord sortir de la réalité) correspondent bien à cette image.

Oui, si le diable existe ces méthodes sont bien faites pour lui. C'est ça le titanisme; détacher l'homme des obscurités du réel, lui promettre un avenir radieux et finalement en faire un esclave. Toujours la fin y justifie les moyens; fascisme, nazisme, marxisme-léninisme, il y a toujours un bel idéal, mais beaucoup de cadavres. Pour moi, ce sont les doigts du même dragon.


        Fin

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